Harley Weir est la photographe britannique surdouée que les créateurs de mode courtisent depuis la découverte de ses clichés sur les réseaux sociaux. Née à Londres en 1988, diplômée des beaux-arts de Central Saint Martins College en 2010, Harley Weir réalise des films, peint et travaille la céramique ; elle photographie la mode, les déchets, les frontières, les surfaces, les corps. Ses clichés intimes séduisent ou dérangent. La photographie d’art semble être un laboratoire dans lequel Harley Weir expérimente les textures, les couleurs et les lumières.
La mode
Une cigarette allumée plantée sur la langue de Bella Hadid, un serpent noir glissant le long d’une colonne vertébrale, un corps nu couvert de boue, du lait qui s’échappe d’une bouche ou un œuf qui s’écrase sur une mule en python : c’est le monde érotique et délicat d’Harley Weir. La précision et l’audace de ses compositions séduisent l’industrie du luxe. En 2015, elle réalise « Legs are not doors » pour Proenza Schouler et remporte le Milano Fashion Film Award. L’artiste travaille pour Céline, Balenciaga, Dior, Stella McCartney, voyage en Iran pour Louis Vuitton Fashion Eye. Le rouge signature estampille souvent ses clichés, farde les yeux, maquille les bouches, habille les mannequins. Les portraits d’Harley Weir font la couverture de Vogue, AnOther Magazine et Dazed and Confused. Moins d’une décennie suffisent à Harley Weir pour être mondialement reconnue pour ses photographies d’art.
Le corps
Dans l’œuvre d’Harley Weir, le corps est un sanctuaire. Il est tordu, détaillé, maquillé, mouillé, souillé, fragmenté face à l’objectif. La photographe sublime la banalité, ses clichés sont provocants. « Je veux seulement susciter une émotion. Peu importe que la personne soit dégoûtée ou que cela lui rappelle l’amour. », explique-t-elle en 2012 à Bullett. Elle explore ainsi les fonctions du corps féminin dans le cinquième numéro de Baron Magazine, Function. Ses clichés de tétons, de poils et d’allaitement questionnent la féminité. Le corps de l’homme, elle l’ausculte aussi dans son livre FATHER publié chez IDEA. Ses photographies crues éprouvent les canons esthétiques masculins et ne manquent pas de poésie.
L’engagement
Harley Weir qui a photographié Greta Thunberg pour la couverture d’i-D est une artiste engagée. Depuis 2015, elle publie sur un compte Instagram (@rubbish_1.2) des centaines d’images de déchets. La photographe des grands créateurs s’insurge contre la mode jetable et revendique le zero waste. Ses clichés de poubelles ont été exposés au Soft Opening dans la station de métro de Piccadilly Circus, et les fonds récoltés reversés à Great British Beach Clean.
Harley Weir est discrète et son engagement personnel. Elle a appris la céramique auprès de son père diagnostiqué de la maladie d’Alzheimer. Ses céramiques aux formes tarabiscotées sont vendues aux enchères, et les ventes financent la recherche contre la maladie. Harley a photographié The Gate, un centre d’art-thérapie pour des artistes touchés par des troubles d’apprentissage.
Harley Weir aborde la géopolitique sans se prononcer. Ses photographies d’art sont exposées pour la première fois à Amsterdam au Foam Fotografie Museum, en 2016. L’exposition Boundaries est consacrée aux frontières disputées qu’Harley a photographiées en Israël, en Géorgie, en Russie. En 2018, la Biennale de Brighton expose ses clichés du démantèlement du camp de migrants de Calais en 2016. Cette série est publiée chez Loose Joints dans le livre Homes. Les profits de ses ventes permettent de reverser plus de dix mille livres à la Cimade, une association d’aide aux réfugiés. À Calais, Harley Weir n’a photographié que les lieux. Elle rend hommage aux migrants, mais fuit le voyeurisme.
Digresser
L’artiste confie dans un entretien avec Ssense qu’elle s’éloigne de la photographie de mode, « épuisée de faire des portraits ». Son dernier ouvrage Paintings rassemble des études de surface et Harley Weir semble digresser de son œuvre. On devine pourtant des formes humaines dans les fissures, les peintures, les textures des surfaces. En 2017 également, la Cob Gallery à Londres présente ses peintures et collages abstraits au sein d’une exposition dédiée au corps. Face à l’objectif d’Harley, les surfaces revêtent la même intensité qu’un modèle humain. La photographe pose un regard intime, élégant et provocant sur chacun de ses sujets. Elle questionne la frontière entre l’artiste et son sujet.
Les frontières
Interroger et transgresser les frontières est peut-être la caractéristique de l’œuvre prolifique d’Harley Weir. Les frontières physiques, les frontières politiques, les frontières du genre, la frontière entre le dégoût et le désir. Ses photographies capturent leurs modèles avec une acuité extraordinaire, sublimée par la composition et la lumière. La bienséance cède à l’intimité.
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Texte : Salomé Bataille
Crédit Photo : Rebecca Storm/Ssense